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À ce rythme, il nous faudra encore 10 élections fédérales pour atteindre la parité à Ottawa

12 janvier 2022

Photo by Library of Parliament

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L’année 2021 a marqué le centenaire de la première femme à être élue à la Chambre des communes au Canada, Agnes Macphail. Malgré des changements notables menant vers une plus grande parité entre les sexes en politique au cours des 100 dernières années, les femmes sont encore largement sous-représentées à la Chambre des communes. Ce constat est devenu clair une fois de plus en septembre dernier, lorsque les Canadien.ne.s ont élu 235 hommes pour seulement 103 femmes comme député.e.s, soit une augmentation de seulement 3 femmes par rapport à la législature précédente. 70 % des élu.e.s au niveau fédéral sont des hommes. Considérant que les appels à la parité à Ottawa se multiplient, qu’est-ce qui explique la lenteur du changement social espéré?

Des réponses convaincantes à cette question existent déjà et mettent en évidence plusieurs raisons. Un article de 2019 de la CBC s’est penché sur la relation entre le genre, le soutien financier des partis et les résultats des élections. Sa conclusion? Les femmes politiques sont plus susceptibles d’être vouées à l’échec – elles sont plus susceptibles d’être candidates dans des circonscriptions difficiles à gagner, et moins susceptibles de recevoir un soutien financier de leur parti par rapport aux candidats masculins. D’autres explications font également état de préjugés sexistes dans la préférence des candidats ou affirment que les partis et les institutions n’ont pas réussi à créer des espaces sécuritaires pour les femmes en politique canadienne. En raison de ces obstacles supplémentaires, entre autres, les femmes ont une pente plus raide à gravir que les hommes lorsqu’il s’agit de convaincre le public qu’elles sont aptes à le représenter.

À candidature égale, une femme a-t-elle moins de chances de se faire élire qu’un homme?

En 2020, Data Sciences a mené une expérience en ligne en utilisant une technique communément désignée en sciences sociales comme analyse conjointe. Avec des méthodes de recherche traditionnelles, les participant.e.s à des sondages répondent parfois comme si quelqu’un regardait par-dessus leur épaule. Ils peuvent indiquer qu’ils soutiennent les candidats qu’ils croient être censés soutenir, même si, en réalité, ils voteraient plutôt pour quelqu’un d’autre.

Les analyses conjointes visent à réduire le biais dans les réponses: elles ne demandent pas directement aux répondants de relayer leurs opinions sur un élément précis et mesurent indirectement et subtilement l’impact de traits particuliers sur un profil. Dans notre expérience, les personnes interrogées étaient exposées à des paires de profils de candidat.e.s générés de manière aléatoire, et étaient invitées à faire quelques choix entre chaque paire. Il est important de noter que plusieurs caractéristiques personnelles et professionnelles du profil des candidat.e.s potentiel.le.s étaient randomisées, notamment leur éducation, leur famille, leur carrière, leur expérience et leur âge. Le sexe était attribué au hasard et indiqué subtilement par l’utilisation de pronoms masculins ou féminins (par exemple, «Elle vit dans la circonscription depuis cinq ans» ou «Il était médecin avant de se lancer en politique»). Un échantillon représentatif de plus de 5 000 Canadiens a participé à cette expérience et a dû faire des choix entre des milliers de combinaisons de traits. Nous avons ensuite utilisé des méthodes statistiques pour évaluer l’impact de chaque trait sur les perceptions des candidats.

Exemple des profils montrés lors d’une analyse conjointe

Nos résultats suggèrent que, toutes choses étant égales par ailleurs, le fait d’être une femme donne un léger coup de pouce à la popularité et à la crédibilité d’un politicien : les candidatures féminines étaient généralement plus susceptibles de recueillir les votes des répondants lors d’une élection fictive (+2.8%), plus susceptibles d’être perçues comme partageant les valeurs des répondants (+3.7%) et d’être considérées comme des députées efficaces (+1.7%).

Ces résultats suggèrent que le public canadien est ouvert à l’élection de femmes. Cependant, le fait d’être une femme (par opposition à un homme) est également associé à une diminution de 2 % de la probabilité d’être perçue comme la candidate la plus susceptible de gagner une élection.

Cela peut sembler un effet minime, mais il est important de noter qu’en septembre 2021, 45 député.e.s ont été élu.e.s avec une marge de 5% ou moins. Dans des cas de courses serrées, et surtout dans notre système électoral actuel, ces biais peuvent faire une grande différence. Au moment de notre sondage, on constatait également qu’environ 22% des Canadiens se considéraient comme des électeurs principalement stratégiques1 — c’est-à-dire qu’ils ne voteraient pas pour leur candidat.e préféré.e, mais plutôt pour le ou la candidat.e qui pourrait augmenter les chances de faire gagner un gouvernement désiré à Ottawa. Par exemple, au lieu de voter pour les libéraux ou les néo-démocrates, ces électeurs votent contre une direction conservatrice, ou vice versa. Près d’¼ du pays semblent donc voter ainsi pour le ou la candidat.e » tolérable » dans sa circonscription, souvent celui qu’il croit le plus susceptible de gagner. L’impact du genre sur l’éligibilité perçue et les résultats électoraux dans ce système est difficile à estimer, mais de manière plus pratique, nous estimons que 10 circonscriptions au Canada remportées par des hommes en 2021 pourraient être le résultat de ce biais de perception: dans ces circonscriptions, la différence de part de voix était de 4% ou moins entre le candidat masculin vainqueur et la candidate féminine ayant fini en deuxième opposition.

Un autre constat tiré de notre expérience était que les candidatures féminines étaient plus fréquemment pénalisées pour ne pas être des candidatures idéales. Certaines caractéristiques qui étaient généralement associées à un impact négatif sur le succès d’un profil de candidat avaient des effets négatifs plus prononcés lorsque jumelés à un profil féminin. Par exemple, le fait d’être issu d’un milieu privilégié était un désavantage pour tous les candidats, mais plus encore pour les femmes, dont le soutien diminuait de 7.6 % par rapport aux hommes. Le manque d’expérience était aussi davantage puni: les candidates décrites comme «nouvelles en politique» étaient moins susceptibles d’être soutenues (-5,6%) en comparaison à des candidats masculins inexpérimentés. Cette situation est doublement pénalisante, car notre héritage historique de parlements non paritaires signifie que les femmes sont non seulement plus susceptibles d’être des candidates n’ayant pas été élues par le passé, mais qu’elles seront aussi davantage pénalisées par l’électorat pour leur manque d’expérience, créant ainsi un cercle vicieux dont il serait difficile de s’extraire. En comparaison, aucune des caractéristiques testées susceptibles d’avoir un impact sur la perception de l’éligibilité d’un candidat – par exemple l’âge, l’expérience – n’avait d’impact plus négatif sur les hommes que sur les femmes.

Une raison potentielle expliquant le fait que les électeurs peuvent croire que les femmes ont moins de chances d’être élues est que les électeurs voient plus régulièrement les femmes perdre leurs élections que les hommes. Cette élection n’était pas une exception sur ce plan. Si on restreint notre analyse aux cinq partis fédéraux disposant d’une représentation parlementaire, 18% des candidates ont remporté leur élection, contre 31% de leurs homologues masculins.

L’avantage du député sortant crée-t-il un cycle trop difficile à briser?

Cet effet est partiellement structurel. Les députés sont historiquement beaucoup plus susceptibles d’être des hommes, de sorte que les député.e.s se représentant — qui bénéficient d’un avantage électoral important — ont tendance à être des hommes. En fait, 69% des candidats de 2021 se présentant dans des sièges qui avaient été remportés par leur parti depuis en ou depuis 2015 étaient des hommes. Les candidates de 2021 se présentant pour les quatre principaux partis politiques étaient plus susceptibles que leurs homologues masculins de se présenter dans des circonscriptions non détenues par leur parti, donc plus difficiles à gagner (voir graphique).

Distribution de types de candidat.e.s par parti politique en 2021

L’une des meilleures occasions pour les partis de soutenir la place des femmes en politique est d’encourager et de promouvoir la nomination de candidates lorsqu’une place se libère dans une «circonscription sûre», c’est-à-dire lorsqu’un député sortant décide de ne pas se représenter aux prochaines élections. En 2021, c’est ce qui semble s’être produit :

  • Le Parti conservateur du Canada a remplacé 2 femmes et 7 hommes sortants par 4 femmes et 5 hommes, doublant ainsi le nombre de candidates se présentant dans ces sièges vacants;
  • Le Parti libéral du Canada a remplacé 4 femmes et 10 hommes députés par 8 femmes et 6 hommes, doublant également la représentation féminine de cette cohorte2;
  • Le Nouveau Parti Démocratique a remplacé 1 femme et 2 hommes députés par 2 femmes et 1 homme candidats, soit une augmentation de 33%;
  • En tant que seul parti ayant déjà atteint la parité avec 47% de représentation féminine, le Bloc est le seul parti qui n’a pas utilisé des comtés laissés vacants par des députés sortants pour augmenter la représentation féminine en 2021, remplaçant un député masculin et une députée féminine par deux candidats masculins.

Ces nouveaux et nouvelles candidat.e.s, qui ont eu l’opportunité de se présenter dans un de ces sièges précédemment acquis par leurs partis, semblent en effet avoir profité d’un avantage en 2021 : 90 % d’entre eux et elles ont été élu.e.s député.e.s. 

Pouvons-nous en faire plus?

Réserver officiellement ces comtés vacants à des candidates non masculines est une stratégie qui pourrait être utilisée pour accroître la parité entre les sexes. Toutefois, il ne faut pas trop s’y fier. Seule une minorité de députés choisit de ne pas se représenter à chaque cycle électoral, et tous les députés sortants masculins ne seront pas systématiquement remplacés par des candidates féminines. Au rythme actuel de roulement et d’élections de femmes, il nous faudrait peut-être encore 10 élections fédérales avant que nous atteignions la zone paritaire à Ottawa, à moins que d’autres mesures ne soient prises.

L’atteinte de la parité de genre au gouvernement ne se fera pas uniquement en encourageant les femmes à se présenter, bien que ces efforts doivent être poursuivis. Les partis et les autres institutions politiques doivent reconnaître qu’il existe des obstacles réels auxquels les femmes et les autres membres des groupes sous-représentés sont confronté.e.s lorsqu’ils se présentent aux élections — tout en veillant à ce qu’une fois élu.e.s, les femmes et les membres des groupes minoritaires soient soutenu.e.s et que des mesures raisonnables soient prises afin de remédier à toute discrimination qui survient3 . Nommer des cohortes de candidat.e.s et un cabinet paritaires, promouvoir davantage d’exemples de femmes et de personnes issues de la diversité des sexes dans des rôles publics de leadership, accroître la représentation de ces personnes dans leurs rangs et contribuer à augmenter le soutien financier aux candidats issus de groupes sous-représentés ne sont que quelques-unes des mesures que les organisations politiques peuvent prendre pour accroître la diversité dans leurs rangs. Les récents succès obtenus par des femmes lors d’élections municipales-clé au Québec sont de bon augure pour notre avenir, et nous espérons que l’analyse de ces victoires permettra d’élucider des stratégies pour d’autres femmes qui se présenteront en politique à l’avenir. 

Enfin, pour œuvrer à une plus grande diversité de pensées et de perspectives au sein du gouvernement, nous aurons besoin de données. À notre connaissance, il n’y a pas d’ensembles de données accessibles au public qui peuvent parler des réalités des candidats des autres groupes minoritaires dans la politique canadienne. Nous n’avons donc pas été en mesure d’inclure ces groupes dans notre analyse, mais cela aurait pu apporter des nuances importantes à nos conclusions. Des segments vitaux de notre société — y compris les BIPOC (PANDC), les membres de la communauté 2SLGBTQ+, ou les personnes issues de milieux économiques défavorisés — sont cruellement sous-représentés à la Chambre, mais il est difficile de mesurer exactement l’ampleur de ce manque de représentation. Des organismes comme Élections Canada devraient envisager de mettre en œuvre des programmes pour publier des indicateurs des objectifs de diversité et d’inclusion au sein du gouvernement afin de permettre le suivi de ces paramètres au fil du temps. Les Canadiens sont prêts pour une plus grande diversité de représentation dans la politique fédérale – mais la réalisation de cet objectif à court terme ou dans 100 ans dépend de notre capacité à comprendre et à analyser les lacunes de notre système politique, et à mettre en œuvre des stratégies efficaces pour les surmonter.

  1. 74% disaient voter pour les valeurs du parti ou du leader, alors que 4% mentionnaient d’autres raisons.
  2. Cela inclue tous les candidats libéraux qui se présentaient, au temps du début de l’élection, dans un comté dont le député sortant était Libéral (en excluant les députés indépendants auparavant affiliés au Parti libéral du Canada).
  3. Par exemple, le Comité permanent de la condition féminine révèle dans son enquête que 67% de députées féminines disent avoir vécu du chahutage sexiste au Parlement contre seulement 20% de leurs collègues masculins.