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Notre première journée nationale de la vérité et de la réconciliation

23 décembre 2021

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Le 30 septembre 2021 a marqué la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada. Le projet de loi visant à créer la journée de la vérité et de la réconciliation a reçu l’appui unanime des partis au Parlement du Canada en 2020 et est devenu un jour férié fédéral en juin 2021. La désignation de cette date comme journée d’observation nationale était l’une des 94 recommandations formulées dans les conclusions du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation, comme moyen de “veiller à ce que la commémoration publique de l’histoire et de l’héritage des pensionnats demeure une composante essentielle du processus de réconciliation.” Afin d’évaluer la réaction du grand public à cette nouvelle initiative et de fournir des données de base pour suivre le niveau d’engagement avec cette journée au fil du temps, nous avons demandé à un échantillon représentatif en ligne de 1 200 Canadiens de nous dire s’ils ont souligné la journée et comment. 

«En rédigeant cet article, nous souhaitons partager notre recherche et nos données par rapport à l’apathie à l’égard de la réconciliation, et proposer des solutions qui nous aideront à surmonter l’indifférence et le désengagement de nos propres communautés

D’emblée, il est important pour nous de préciser l’objectif que nous poursuivons en écrivant cet article sur le succès d’une initiative menée par des autochtones, en tant que deux chercheuses non autochtones. Nous n’avons ni l’intention ni l’objectif d’analyser ou de commenter les efforts déployés par les communautés autochtones et leurs allié.e.s pour faire avancer la réconciliation, y compris leur travail pour faire reconnaître une journée de vérité et de réconciliation au niveau national. À nos yeux, le 30 septembre était une occasion tout indiquée pour les leaders communautaires de faire connaître et d’enseigner notre histoire au public, de la contextualiser efficacement dans le récit canadien moderne et d’accroître les efforts en vue de la réconciliation. Ultimement, nous croyons que le progrès doit être mesuré pour être atteint. Ainsi, nous offrons ici un aperçu du niveau initial de l’engagement public avec cette journée dans le but de pouvoir mettre en contexte de futurs taux de participation à des évènements similaires.

La sensibilisation à cette journée a peut-être été particulièrement forte cette année en raison d’autres événements récents qui ont attiré l’attention sur ces questions. À la fin du printemps, des efforts menés par des groupes autochtones ont réussi à identifier et exhumer de multiples fosses communes situées sur les sites d’anciens établissements. On estimait alors qu’environ 1300 tombes anonymes d’enfants avaient été localisées. Avec l’aide de campagnes menées dans les médias sociaux et de la couverture médiatique de ces histoires, de nombreux Canadiens ont été confrontés aux réalités de notre histoire coloniale à cette époque comme rarement auparavant.

Grâce à notre sondage en ligne, nous estimons que 23% des adultes au Canada ont participé à la première journée de la vérité et de la réconciliation au Canada. Seulement 14% des répondants ont dit avoir eu un jour de congé, et seulement 8.6% d’entre eux vivaient dans des provinces ou des territoires qui ont déclaré cette journée comme un jour férié. Ainsi, le soutien populaire à la journée de réconciliation dépassait donc le soutien institutionnel qui lui était accordé. Parmi les 23% ayant participé ou souligné la journée, approximativement 40% des participants ont dit avoir porté du orange, tandis que 29% ont participé à des activités éducatives sur les peuples autochtones ou sur l’histoire coloniale du Canada. Nous pouvons donc estimer que des millions de Canadiens ont  posé des gestes significatifs en faveur de la réconciliation en 2021. 

«23% des adultes au Canada ont participé à la première journée de la vérité et de la réconciliation au Canada.  50% des Canadiens interrogés ont déclaré être au courant de la journée mais ne pas l’avoir observée. Les 27% restants n’étaient même pas au courant de l’existence de cette journée.»

Tout événement ou mouvement qui rassemble des millions de participants peut être considéré comme un succès. Par contre, nous constatons également un écart important entre le niveau de sensibilisation et l’action. La réconciliation vise ultimement à améliorer la qualité des relations intergroupes entre populations autochtones et non-autochtones au Canada en améliorant la compréhension et le respect mutuel à travers une éducation accrue sur notre histoire collective. La  réconciliation exige donc ainsi l’engagement de la majorité. Considérant cela, comment peut-on accroître la reconnaissance de la journée nationale de vérité et de réconciliation parmi 77% des Canadiens et Canadiennes?

Deux pistes de réponse sont envisageables. D’abord, on doit augmenter le niveau de familiarité avec cette journée. Ceci suggère que davantage de soutien institutionnel serait bénéfique afin d’accroître la sensibilisation à ces enjeux; les répondants qui vivent dans des provinces qui n’ont pas reconnu la journée comme un jour de congé étaient deux fois plus susceptibles de ne pas connaître l’existence de cette journée que les autres. Ces juridictions pourraient donc galvaniser le respect et la connaissance de cette journée en accordant le statut de jour férié au 30 septembre dans les années à venir.

Une deuxième question plus immédiate pourrait être de savoir comment accroître la participation parmi les 50 % de Canadiens qui étaient au courant de la journée mais qui ne l’ont pas soulignée. Afin de mieux comprendre les obstacles potentiels et d’explorer les possibilités afin d’accroître l’observation de la journée de la vérité et de la réconciliation au sein de ce groupe, nous avons creusé davantage les facteurs individuels corrélés à la commémoration.

La non-observation est partiellement liée au nationalisme

Des différences générationnelles et de genre importantes sont observées dans les niveaux de participation à la Journée de la vérité et de la réconciliation. Les femmes de moins de 50 ans étaient plus susceptibles de souligner cette journée (34%) que les hommes de moins de 50 ans (22%), que les femmes de plus de 50 ans (25%) et particulièrement plus que les hommes de plus de 50 ans (9%). Les schémas démographiques observés pour les taux d’observation correspondent aussi, dans une certaine mesure, à des différences démographiques connues en matière de nationalisme – c’est-à-dire que les personnes âgées et les hommes ont tendance à afficher des tendances plus nationalistes que les personnes plus jeunes ou les hommes. Nous avons mesuré le nationalisme selon une échelle de quatre items, dont les répondants devaient juger l’importance sur une échelle de 1 (pas du tout important) à 4 (extrêmement important). Ces items nationalistes mesurent l’adhésion à l’idée qu’un individu doit souscrire à certaines conditions pour être considéré comme un vrai Canadien.ne (ou Québécois.e), par exemple suivre les traditions et les coutumes canadiennes.

Si le nationalisme a une influence marquée sur la participation à la  réconciliation, c’est un signal qu’on doit s’y prendre différemment pour engager le public. Les individus qui obtiennent des scores élevés à cette échelle du nationalisme partagent une idée claire et forte de l’identité nationale, mais une vision qui n’est pas inclusive. Partager une identité nationale forte comporte de nombreux avantages psychologiques pour des citoyens, mais l’une des conséquences négatives de cette condition est qu’elle crée une tendance parmi les membres de ces groupes à rejeter toute information qui menace la considération positive de leur groupe, y compris les méfaits historiques ou les récits de groupes victimisés qui les dépeignent comme des auteurs de violence. Ainsi, selon la littérature académique en psychologie, des Canadiens très nationalistes seraient moins susceptibles de participer à la journée de la vérité et de la réconciliation, car leur malaise psychologique face à cet aspect de notre histoire les amènerait à rejeter complètement la prémisse de cette journée. 

C’est en grande partie ce que nous constatons ici. Conformément aux résultats antérieurs concernant d’autres actions collectives, pour chaque point d’augmentation du nationalisme, la probabilité qu’une personne commémore la journée de la vérité et de la réconciliation diminue d’environ 45%. Ces effets sont maintenus même lorsque nous contrôlons pour l’influence du sexe, de l’âge, de la région et du revenu. Le nationalisme est une barrière qui bloque l’adhésion et la participation à la journée de la vérité et de la réconciliation et probablement à d’autres événements en vue de la réconciliation au Canada.

Dans l’ensemble, nous pouvons tirer certaines conclusions sur le succès de notre première journée de la CVR et formuler des recommandations sur la façon de procéder à l’avenir. 

  1. Plus d’un quart de tous les Canadiens n’étaient pas au courant de cette journée – il faut faire davantage pour promouvoir cette initiative et faire connaître son importance au public. 
  2. Le nationalisme ainsi que d’autres facteurs identitaires diminuent la motivation à participer à des efforts de réconciliation pour certains. Ainsi, l’augmentation de la participation à la réconciliation nécessitera des solutions collectives et identitaires. 

«Le soutien institutionnel est un début, mais ne suffit pas ; la réconciliation exige des solutions basées sur l’identité du groupe.»

Les réactions individuelles à l’histoire s’inscrivent dans une représentation plus large de notre récit et de notre identité, et doivent donc être comprises dans ce contexte. Afin d’obtenir une participation majoritaire aux efforts de réconciliation, le soutien institutionnel et la déférence des dirigeants seront essentiels. Ces mesures seront efficaces si l’on fait la promotion d’un certain nombre d’interventions fondées sur l’identité qui peuvent être utilisées pour faire participer le grand public à cette conversation. 

Deux actions principales sont soutenues par nos données et peuvent être utiles afin de prendre, à court terme, des décisions efficaces.

La première consiste, pour les dirigeants, à présenter des informations factuelles sur les méfaits passés de leur groupe en se concentrant sur des événements spécifiques et en évitant de parler d’histoires générales. Parler des événements historiques en termes généraux implique une vision essentialiste du groupe d’agresseurs qui est trop menaçant pour certains, ce qui rend cette stratégie généralement contre-productive pour l’engagement et les relations harmonieuses entre les groupes : «Vous êtes donc en train de me dire que nous avons mal agi, que nous sommes de mauvaises personnes, qu’il y a quelque chose en nous qui nous rend mauvais? Je ne pense pas.» Parler des méfaits historiques en termes généraux crée de la place pour ce genre d’interprétation défensive. Nous ne parviendrons jamais à faire accepter à certains Canadiens la vérité sur notre passé s’ils se sentent également obligés d’accepter que ce passé fait de tous les Canadiens des personnes mauvaises. Parler d’événements spécifiques peut cependant être tout aussi puissant et même plus susceptible de susciter un véritable intérêt pour en savoir plus sur notre histoire, les cultures autochtones et la réconciliation au sein du grand public. 

Deuxièmement, ceux qui ont un micro doivent utiliser des affirmations de groupe pour maintenir l’engagement de tous pendant la partie difficile de la conversation, afin qu’ils la digèrent et restent à l’écoute des suggestions sur ce qu’ils peuvent faire ensuite. Il est important de confronter et d’assumer notre passé négatif, mais pour les individus fortement nationalistes, c’est aussi très inconfortable sur le plan psychologique et une raison de se désengager. La mise en place de tampons psychologiques permet à chacun de rester à l’écoute afin que les informations nécessaires soient réellement absorbées. Les affirmations – l’expression de valeurs ou d’aspects positifs fondamentaux qui aident les groupes ou les individus à conserver un sentiment d’identité positif – sont utiles à cette fin. L’inclusion d’affirmations de valeurs canadiennes partagées, positives et stables dans les discours, les conférences, le matériel éducatif ou les cérémonies peut aider les dirigeants à dépasser le déni narratif, le blâme de la victime et les justifications qui peuvent autrement prévaloir parmi les groupes auteurs de crimes lorsqu’ils sont confrontés à leurs transgressions historiques. Une fois cette étape franchie, les leaders sont alors en mesure de proposer des étapes suivantes significatives qui peuvent inclure, entre autres, la lecture d’un livre d’un auteur autochtone ou le visionnage d’un film d’un cinéaste autochtone, la participation à un événement communautaire, le don ou le bénévolat pour une organisation autochtone, le vote pour des candidats autochtones afin d’accroître la représentation politique, ou simplement le fait de montrer son soutien au mouvement en achetant un t-shirt orange d’une entreprise autochtone, comme celui-ci ou celui-ci. 

Les lecteurs intéressés peuvent consulter ici. un examen complet, accessible au public, des stratégies permettant de surmonter le déni du groupe d’auteurs.

Le processus de réconciliation n’est pas censé être une expérience confortable et facile. De ce point de vue, on pourrait – à juste titre – critiquer les recommandations ci-dessus. Pourquoi les stratégies de communication pour la réconciliation devraient-elles privilégier et protéger les sentiments fragiles d’une majorité dominante ? Cela ne devrait pas être le cas. Mais, pour les Canadiens non autochtones qui font campagne pour engager d’autres Canadiens non autochtones dans cette conversation, ces stratégies peuvent être nécessaires pour mobiliser une majorité et susciter une volonté politique contre le racisme dans nos systèmes. 

La première : La raison pour laquelle les membres d’un groupe réagissent de manière défensive lorsqu’ils sont confrontés à des informations factuelles sur les méfaits passés de leur groupe est en partie due aux croyances omniprésentes sur l’essentialisme dans notre environnement qui sont très menaçantes pour l’estime personnelle dans ce contexte : «si vous avez fait du mal, vous êtes de mauvaises personnes, il y a quelque chose en vous qui vous rend mauvais». Il est important que le matériel éducatif, par exemple, souligne des comportements et des actions négatives spécifiques des Canadiens, mais n’implique pas de traits négatifs et stables essentiels des membres du groupe, d’un côté comme de l’autre, qui peuvent être glanés dans les événements passés. Nous ne parviendrons jamais à faire accepter à certains Canadiens la vérité sur notre passé s’ils se sentent également obligés d’accepter que ce passé fait des Canadiens de mauvaises personnes. 

Deux : Dans la même optique, les affirmations de groupe peuvent aider à maintenir l’engagement de certains dans une conversation psychologiquement inconfortable. Encore une fois, le fait d’être confronté à un passé négatif peut avoir des conséquences graves sur notre identité, ce qui conduit de nombreuses personnes à se désengager tout simplement. C’est pourquoi les stratégies visant à impliquer une majorité de personnes nécessitent l’utilisation de tampons psychologiques capables de les préparer à cet inconfort afin qu’elles puissent absorber les informations nécessaires. Les affirmations sont des expressions des valeurs positives fondamentales ou des aspects qui aident les individus à maintenir un sentiment positif de soi. 

Elles peuvent également être déployées à un niveau collectif pour faire la même chose, mais pour un groupe. L’inclusion d’affirmations de valeurs collectives partagées, positives et stables dans les discours, les conférences, le matériel pédagogique ou les cérémonies peut aider les dirigeants à dépasser le déni narratif, la culpabilisation des victimes et les justifications qui peuvent autrement prévaloir parmi les groupes d’auteurs de crimes lorsqu’ils sont confrontés à leurs transgressions historiques.

Le processus de réconciliation n’est pas censé être une expérience confortable et facile. De ce point de vue, on pourrait – à juste titre – critiquer les recommandations ci-dessus. Pourquoi les stratégies de communication pour la réconciliation devraient-elles privilégier et protéger les sentiments fragiles d’une majorité dominante ? Notre avenir commun sera mieux servi par une majorité mobilisée contre le racisme de nos systèmes. En donnant un élan à ce mouvement au-delà des 23 % de participants actuels, on augmente la probabilité que le processus de réconciliation mène à un changement positif durable dans les relations entre les Canadiens, les Premières nations, les Inuits et les Métis de notre pays.

Méthode

Nous avons mené une enquête en ligne auprès d’un échantillon de 1 187 Canadiens du 30 octobre 2021 au 8 novembre 2021. Les données de l’enquête ont été pondérées par sexe, âge et région afin d’être représentatives de la population canadienne. La marge d’erreur pour un échantillon probabiliste de même taille est de ± 3,09 %.

  1. Le nationalisme a été mesuré à l’aide de quatre éléments qui demandaient aux répondants de nous dire à quel point ils pensaient qu’il était important, sur une échelle de 1 (pas du tout important) à 4 (extrêmement important), qu’un individu présente certains traits pour être considéré comme un véritable Canadien, par exemple doivent suivre les traditions et les coutumes canadiennes.